La réforme constitutionnelle supprimant le poste de Premier ministre constitue l'une des mesures phares du Président Macky Sall pour son second mandat. Le projet de loi sera discuté ce samedi en plénière à l'Assemblée nationale. Il suscite la controverse.
Vendredi 5 avril 2019, soit trois jours seulement après la prestation de serment du Président réélu Macky Sall, le Premier ministre Mahammad Dionne dépose sa lettre de démission et celle de son gouvernement. Après avoir accepté la décision, le chef de l'État, par la voix de Maxime Jean-Simon Ndiaye, secrétaire général de la présidence de la République d'alors, annoncé les couleurs d'une large réforme institutionnelle qui devrait aboutir, entre autres, à la suppression du poste de Premier ministre.
"Incessamment, sera composée une nouvelle équipe gouvernementale qui, pour ce quinquennat, sera constituée de femmes, d'hommes et de jeunes. Mais elle sera surtout marquée par un resserrement organique, un recentrage des missions essentielles autour des priorités qu'il compte imprimer à ce quinquennat", annonçait Maxime Jean-Simon Ndiaye.
Jurisprudences Senghor et Diouf
Vingt-quatre heures plus tard, le Président Sall passe à l'acte : Dionne est reconduit comme Premier ministre, mais il hérite également du poste de ministre d'État, secrétaire général de la présidence de la République. C'est lui-même qui fait l'annonce : "Le président de la République m'a demandé de préparer dans les jours à venir, au plutôt après la composition du gouvernement, de finaliser cette grande réforme pour aller vers le mieux d'État et cette réforme passera par la suppression de l'échelon intermédiaire qui est le Premier ministre."
À la surprise générale, Macky Sall a "officialisé" la suppression du poste de Premier ministre en s'inspirant du modèle de gouvernance de l'ère Senghor et de Diouf. En effet, en 1963, alors que ses relations avec Mamadou Dia, Président du Conseil (équivalent du Premier ministre), battent de l'aile, le Président Léopold Sédar Senghor prend plusieurs décisions importantes. Il organise un référendum et supprime le poste de Premier ministre.
Sept ans après, le 26 février 1970, le Président Senghor, sans doute rassuré par le profil d'Abdou Diouf, organise un nouveau référendum qui fait revenir le poste de Premier ministre et le nomme à la Primature.
En 1981, Diouf remplace Senghor au poste de président de la République. Il va aussi imiter Senghor en supprimant le poste de Premier ministre, le 1 mai 1983, suite à la révision constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale. En mars 1991, il revient sur sa décision et rétablit le poste, avec le retour d'Habib Thiam.
22 articles de la Constitution modifiés…
En tout cas, cette réforme institutionnelle, annoncée par le président de la République dès sa réélection, commence à prendre forme. En effet, le projet de loi, adopté en Conseil des ministres du 17 avril dernier, a atterri sur la table du président de l'Assemblée nationale, Moustapha Niasse, depuis le 19 avril dernier. Il est passé en commission et sera examiné en plénière.
La révision en question touche 22 dispositions de la charte fondamentale. Il s'agit, selon l'exposé des motifs, des articles 40, 43, 49 à 53, 55 à 57, 59, 76, 80 à 87, 101 et 103 de la constitution (voir documents).
"Désormais, le président de la République ne dispose plus du droit de dissoudre l'Assemblée nationale et de la même manière, l'Assemblée nationale ne peut plus provoquer la démission du gouvernement par le vote de confiance ou d'une motion de censure", d'après l'exposé des motifs où l'on relève que "l'Assemblée nationale, gagne en autorité pour exercer sa mission constitutionnelle de légiférer, de contrôler le gouvernement et d'évaluer ses politiques publiques".
L'exécutif croit savoir qu'avec la réforme, "le dialogue entre l'Exécutif et le Législatif en ressort mieux équilibré". Et que la charge de parlementaire est davantage valorisée. "La volonté de reconsidérer le statut de député se traduit par la possibilité désormais offerte à celui-ci, nommé membre du gouvernement de reprendre son siège à la cessation de ses fonctions ministérielles", signe-t-on dans l'exposé des motifs.
"Réforme inopportune et dangereuse"
Mais de toutes ces réformes, seule la suppression du poste de Premier ministre a suscité vive polémique. Ce changement de régime politique, est-il opportun ? "Non !" répond, Dr Yaya Niang, enseignant-chercheur en droit public qui s'exclame : "Il n'y a aucun fait, aucune crise politique qui puisse justifier cette suppression. D'ailleurs, nulle part, il ne l'avait envisagée dans son programme. Cette décision est brutale et surprenante."
Le politologue Dr Papa Fara Diallo renchérit : "Rien dans le contexte actuel ne justifie cette boulimie réformiste. Si réforme, il devait y avoir, ce devrait être dans l'autre sens, c'est-à-dire dans le sens de mieux rationaliser la fonction présidentielle en corrigeant l'hypertrophie de ses prérogatives."
Cette réforme pose le problème de la responsabilité de l'exécutif devant l'Assemblée nationale. "Si la fonction de Premier ministre disparaît, il faut que le Président Macky Sall soit prêt à assumer la responsabilité politique devant l'Assemblée nationale, préconise Dr Niang. On ne peut pas avoir un Exécutif qui ne soit pas responsable politiquement devant la représentation nationale."
En réalité, constate Birahim Seck, le coordinateur du Forum civil, "en supprimant le poste de Premier ministre, vous n'avez plus un régime parlementaire, mais un régime présidentiel". Allant plus loin, le professeur Ndiogou Sarr pense que le Parlement paiera la note puisqu'elle sera délestée de l'essentiel de ses prérogatives. "L'Assemblée (nationale) n'aura plus les moyens d'agir et devient un figurant puisqu'elle ne peut plus contrôler ni sanctionner l'action du gouvernement", martèle-t-il.
En somme, conclut Dr Ngouda Mboup, "on sera dans une instabilité institutionnelle" au Sénégal. D'où "l'inquiétude" du constitutionnaliste Abdoulaye Dièye qui est convaincu qu'on achemine "dangereusement" vers un système présidentiel fort où il n'y aura plus "de mécanismes de sortie de crise entre les pouvoirs, et plus de principe de révocabilité institutionnelle".
"Décision sage et importante"
Mais à ces côtés de ces mises en garde alarmistes, des voix s'élèvent pour chanter les bienfaits de la réforme. Selon Moustapha Diakhaté, ancien président du groupe parlementaire Benno bokk yakaar (Bby, majorité), la réforme est sage et consacre une séparation plus nette des pouvoirs. "L'Assemblée nationale n'aura plus le pouvoir de censurer le gouvernement; le président de la République ne pourra plus, non plus, dissoudre l'Assemblée nationale. Ainsi, chaque institution sera autonome", décrète le désormais ex-ministre d'État, chef de cabinet du Président Sall.
Ancien ministre sous Abdou Diouf, Abdoulaye Makhtar Diop estime que la suppression du poste de Premier ministre ne vise pas à renforcer les pouvoirs du président de la République, mais plutôt lui permettre d'avoir une vision directe sur l'administration. Par ailleurs, le député, qui a été ministre dans un gouvernement sans Premier ministre, souligne que la suppression de ce poste doit être accompagnée de la création de grandes directions au niveau des ministères.
"Ingénierie institutionnelle"
Pour le constitutionnaliste Ferdinand Faye, qui signale que les prochaines législatives se déroulent au début de la semaine moitié du quinquennat de Macky Sall (2022), cette réforme relève de l'"ingénierie institutionnelle en vue d'anticiper une éventuelle et très probable cohabitation".
Il ajoute : "Au regard des circonstances politiques, il n'est pas exclu que la majorité parlementaire actuelle ne soit pas renouvelée. D'une part, au regard des résultats de la présidentielle dernière, près de 42% de l'électorat est favorable à l'opposition. On ajoutera que les élections législatives n'ont pas le même enjeu que l'élection présidentielle. D'autre part, si Macky Sall veut réussir franchement son quinquennat– dernier mandat pour lui–, il sera obligé de se comporter en chef de l'État et non en chef de parti et ce choix aura évidemment des conséquences politiques sur son électorat."
Pour ce chargé de cours à l'université française de Reims, les réactions à la suite de la formation du nouveau gouvernement montrent que la frustration gagnera du terrain dans le camp présidentiel durant le quinquennat. Conséquence probable : "Il est donc bel et bien possible que la mouvance présidentielle perde les élections législatives, prédit le constitutionnaliste. Or, si l'opposition remporte les élections, le président de la République sera obligé de nommer le Premier ministre parmi la majorité parlementaire. Ainsi, Macky Sall pourrait cohabiter au sein de l'exécutif avec un certain Idrissa Seck ou le redoutable Ousmane Sonko. La réforme institutionnelle qui se prépare viserait à parer le président de la République au cas où cette éventualité viendrait à se produire."
Comme lettre à la poste
De toute façon à l'Assemblée nationale, la majorité présidentielle entend faire passer le projet de loi comme lettre à la poste. "Le groupe parlementaire que je dirige défendra la ligne de Monsieur le président de la République, prévient Aymérou Gningue, le président du groupe parlementaire Benno bokk yakaar, interrogé par Seneweb. Le projet de loi sera voté. Il n'y a aucun doute là-dessus. Personne ne peut douter de cela. Maintenant, on a la possibilité, si nécessaire, d'apporter des amendements. Mais, dans le fond, la réforme, qui concerne 19 articles de la constitution, sera votée."
Mais les députés de l'opposition ne vont pas se laisser faire. Ils comptent s'opposer à la réforme. Député du groupe parlementaire Liberté et démocratie (opposition), Cheikh Abdou Mbacké Bara Dolly, avertit le chef de l'État : "C'est un recul démocratique. Je ne vois pas l'utilité pour le président de la République de renforcer ses pouvoirs dans le contexte actuel. Avant que le projet n'arrive à l'Assemblée nationale, il faut que le règlement intérieur soit modifié, sinon la loi ne pourra pas passer."
Selon lui, le règlement intérieur de l'Assemblée nationale donne aux députés le pouvoir de convoquer le Premier ministre, après sa nomination, pour une déclaration de politique générale. "S'il n'y a pas de Premier ministre, qui va s'adresser aux députés", s'interroge-t-il.
Pour le juriste Lamine Samb, membre du Forum civil, cette réforme, qui suscite une polémique sur la nature du régime politique, mériterait d'être débattue au préalable entre les acteurs politiques. "La réforme est salutaire dans une certaine mesure, mais dans la pratique, elle risque de ne pas apporter un grand changement dans le fonctionnement institutionnel. Mieux, le fait de concentrer les pouvoirs entre les mains du président de la République risque d'entrer en contradiction avec la politique de territorialisation des politiques publiques."
Le vent de contestations de la réforme de Macky Sall ne souffle pas que du côté de l'opposition. Cinq organisations de la Société civile appellent à un grand rassemblement, ce samedi, devant l'Assemblée nationale. Objectif : s'opposer à l'adoption du texte. Faire plier l'exécutif comme le peuple l'avait fait le 23 juin 2011, sous Abdoulaye Wade.
3 Commentaires
Futur Leader
En Mai, 2019 (18:22 PM)POUR LE VRAI CHANGEMENT AVEC LA JEUNESSE
CAR NOUS AVONS UN SYSTÈME POLITIQUE ANCIEN
À RÉFORMER PAR DE NOUVELLES MÉTHODES PLUS ADÉQUATES
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